Dans un lotissement absolument quelconque, il y a une maison qui sort un peu du lot, elle est un peu plus grande, avec de larges baies vitrées, un peu moins moche que les autres. Peut-être parce que l’architecte qui a dessiné le quartier Démo l’avait réservée pour lui.
C’est là que vit la famille.
Elle, 10 ans. Elle, dont on ne connait pas le prénom, son petit frère Gilles et leurs parents bien sûr.
La mère, femme au foyer, passionnée par les chèvres miniatures. Le père, comptable dans un parc d’attractions, chasseur de gros gibier.
Une pièce de la maison, on l’appelle la chambre des cadavres, est réservée uniquement à ses trophées : zèbres, lions, daguets, sangliers, cerfs, antilopes, et dans un coin de la pièce, une hyène.
Tous sont bien évidemment empaillés et l’endroit est interdit aux enfants.
L’entente au sein du couple est loin d’être bonne. La mère a peur de son mari. « J’ai toujours été intriguée par leurs photos de mariage. D’aussi loin que je m’en souvienne, je me revois en train de consulter l’album à la recherche de quelque chose. Quelque chose qui aurait pu justifier cette union bizarre. De l’amour, de l’admiration, de l’estime, de la joie, un sourire… Quelque chose… Je n’ai jamais trouvé. «
Alors que la principale fonction de sa mère est de (mal) préparer les repas, son père est très souvent vautré devant la télé, une bouteille de Glenfiddish à portée de main.
C’est dans cet environnement qu’elle grandit, en jouant avec son petit frère, dans la décharge toute proche, où s’entassent des carcasses de voitures.
Et tout va plus ou moins bien.
La tendresse et l’amour de Gilles pour sa grande soeur arrivent à combler l’indifférence parentale.
Jusqu’au jour où un accident terrible vient perturber le fragile équilibre qu’elle avait réussi à instaurer dans sa vie de gamine pré-adolescente.
Plus rien ne sera jamais comme avant.
Gilles est traumatisé, il ne rit plus.
Et elle n’a qu’une envie : revenir en arrière, remonter le temps pour effacer ces secondes qui ont précédé cet épouvantable drame. Toute son énergie se concentre entièrement sur Gilles, mais rien n’est simple pour ces enfants témoins des violences paternelles. « Ma mère couinait de douleur. Elle ne suppliait pas, ne se débattait pas , elle savait que ça ne servait à rien. De son visage déformé, écrasé par la main de mon père, je ne distinguais plus que sa bouche tordue par la terreur. Nous savions tous les trois que cette fois-ci allait être pire que toutes les autres. »
Les années passent, elle est à présent adolescente. Va-t-elle réussir à dompter ce quotidien si dur de la vraie vie ? Parviendra-t-elle à slalomer entre les coups pour essayer de construire son existence ?
Réponse dans ce petit bijou d’écriture signé Adeline Dieudonné.
Un premier roman pour cette bruxelloise de 36 ans.
Un premier roman dont tout le monde parle. Il figure sur les premières listes du Goncourt et du Renaudot.
Un premier roman qu’on ne lâche pas.
Pas une seconde.
On y trouve des personnages incroyables, entiers, terriblement vrais, dans une histoire absolument hypnotisante, portée par une écriture limpide, qui arrive à la fois à nous effrayer, à nous horrifier complètement. Mais aussi à nous éblouir, nous envoûter, nous fasciner, nous attendrir, nous charmer, nous arracher des larmes, mais aussi nous faire sourire, nous faire rire un peu.
Il y a tout ça dans « La vraie Vie » d’Adeline Dieudonné.
Un arc-en-ciel de sentiments pour un des meilleurs livres de la rentrée.
Seul bémol : vous ne demanderez plus jamais de chantilly à votre marchand de glaces ambulant.
Plus jamais.
Vraiment.