C’est évidemment l’enquête de la semaine, du mois, peut-être même celle de l’année. Celle dont tout le monde parle pour le moment, celle dont tout le monde parlera encore dans plusieurs mois.
Et il y a de quoi.
Ce qu’on lit dans Sodoma est assez sidérant.
Certains avaient bien une vague idée, d’autres des impressions et des doutes plus un peu plus précis, mais beaucoup sont tombés de leur chaise en lisant les 600 pages de ce pavé sorti simultanément en 8 langues, un peu partout dans le monde, juste au moment où l’Eglise entame un grand sommet de quatre jours pour essayer de condamner les prêtres abuseurs.
600 pages pour une enquête qui donne le tournis.
Pour pouvoir l’écrire, Frédéric Martel a rencontré près de 1500 personnes pour recueillir leurs témoignages. Au Vatican et dans une trentaine de pays.
Parmi elles, on compte 41 cardinaux, qui témoignent de manière ouverte, non anonyme, 52 évêques, 45 nonces apostoliques.
Plus de 200 de prêtres et de séminaristes ont également accepté de parler de leur vie sexuelle, active ou non, tout en étant membre de l’Eglise.
Ces entretiens n’ont pas été réalisés par téléphone ou par échange d’emails, mais bien en face à face, sur le terrain. Pour la plupart, ils ont fait l’objet, avec l’accord de la personne interrogée, d’un enregistrement.
Frédéric Martel, qui affiche ouvertement son homosexualité, a investigué pendant quatre ans sur ce sujet toujours considéré comme tabou.
Dans l’hebdomadaire le Point, Martel explique que si vous êtes hétérosexuel, vous n’avez pas les codes, vous ne comprenez pas ce qui se passe.
Pour mener son enquête correctement, pour vivre en immersion dans l’Eglise, le journaliste s’est installé à Rome, entre 2015 et 2018, une semaine par mois, logeant même régulièrement à l’intérieur du Vatican grâce à l’hospitalité de hauts prélats qui, parfois, se révélaient être eux-mêmes « de la paroisse ».
Frédéric Martel est très clair, il ne s’agit pas d’une infime proportion de gays qui forment une espèce de caste secrète et influente au sein du Vatican, mais bien la grande majorité de la hiérarchie de la Cité Vaticane qui est homosexuelle.
Martel, qui se refuse à donner une estimation chiffrée, relate néanmoins une de ses sources qui parle de 80 % de gays au Vatican…
Le Vatican a une communauté homosexuelle parmi les plus élevées au monde, et je doute que, même dans le Castro de San Fransisco, ce quartier gay emblématique, aujourd’hui plus mixte, il y ait autant d’homos !
Avec une de ses formules choc, Martel explique que le Vatican, c’est Fifty Shades of Gay…
Et Martel explique les différentes catégories que l’on peut y rencontrer : il y a les homophiles, ceux qui ne pratiquent pas, et qui respectent leur vœu de chasteté, mais qui ont une sensibilité homosexuelle.
Il y a aussi ceux qui vivent très mal leurs penchants, et qui s’infligent des punitions, comme la flagellation par exemple. L’auteur raconte qu’il en fréquente un régulièrement qui essaie de « se guérir » : c’est l’un des principaux collaborateurs du pape …
D’autres encore vivent avec un partenaire stable, leur assistant ou ‘beau-frère’. D’autres enfin multiplient les partenaires ou ont recours à la prostitution. Plus on monte dans la hiérarchie, plus on trouve d’homosexuels. Ils se cooptent parce qu’ils se méfient des hétérosexuels. C’est un monde sans femmes. La misogynie y est abyssale.
Une misogynie abyssale et une constance … Les prélats qui tiennent les discours les plus homophobes et traditionnels sur le plan des mœurs s’avèrent eux-mêmes en privé homosexuels ou homophiles, étant ces fameux ‘rigides’ hypocrites dénoncés par François.
Double vie, secrets, schizophrénie, mensonges, rigidité, hypocrisie, une réalité qui dépasse la fiction.
Soyons bien d’accord, ce n’est pas l’homosexualité que Martel dénonce, du tout.
Ce que le journaliste pointe, c’est cette hypocrisie au sein du Vatican, une situation qui dure depuis des dizaines d’années, une situation bien connue des différents papes qui s’y sont succédés.
Jamais peut-être les apparence d’une institution ne furent aussi trompeuses, et trompeuses aussi les professions de foi sur le célibat et les vœux de chasteté qui cachent une toute autre réalité.
Une situation qui pousserait de nombreux ecclésiastiques à pratiquer la « loi du silence » : s’il couvre un prêtre soupçonné d’abus, c’est d’abord pour se protéger lui-même explique Frédéric Martel aux journalistes du Point. Une puissante culture du secret a été construite pour cacher l’homosexualité d’une majorité de prélats, et c’est cette culture qui a permis à des abuseurs d’être protégés par une loi du silence qui n’a pas été érigée pour eux…
Cette enquête se lit comme un roman…
Ou comment la réalité dépasse incroyablement la fiction…