Kaiser Karl, Raphaëlle Bacqué, Albin Michel

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Il avait dit qu’il ne voulait pas d’enterrement, pas de larmes non plus, quelle faute de goût.

Plutôt mourir avait-il ajouté. D’ailleurs, personne ne voulait envisager sa mort.

Même le boss d’LVMH, propriétaire de Fendi, reconnaissait qu’il n’en parlait jamais, que le seul cas semblable à celui de Karl, c’est le pape …

Il aura fallu des mois de négociations à Raphaëlle Bacqué pour rencontrer l’homme : le pape, l’empereur, le Kaiser. Celui sur qui aucune biographie n’a été publiée jusqu’à présent.

Pendant les trois heures de ce tête à tête, il a été charmant. Il a même enlevé ses lunettes noires.

Mais il n’a pas lâché grand-chose sur lui, en concluant : de toute façon, tous ceux qui connaissent mon histoire sont plus ou moins au cimetière.

C’est là qu’il s’est trompé le Karl.

Ils sont encore nombreux, ceux qui ont croisé la route de cet homme, avant qu’il ne devienne un acteur entièrement pénétré de son rôle. Beaucoup n’avaient qu’un petit bout de l’histoire. D’autres ont attendu qu’il meure pour parler enfin sans le craindre. Il a fallu revenir sur ses traces, relire la légende qu’il avait façonnée pendant soixante années, comprendre ce qui avait fait d’un fils de la bourgeoisie allemande né pendant la guerre le modèle de l’industrie de luxe et de la mode mondialisée. Et peu à peu, le puzzle s’est assemblé.

Un puzzle absolument fascinant .

Depuis Hambourg, sa ville natale, son enfance et son passé dont il a lui-même donné plusieurs versions, on sait que Karl a été un enfant roi, dans une famille qui n’est pas du tout dans le besoin, un petit garçon assez différent des autres, qui passe son temps à dessiner alors que les autres gamins de son âge jouent à l’extérieur. Un petit garçon qui peut être arrogant et snob, parfois d’une suffisance étonnante, sûr de sa supériorité et de sa distinction, un petit garçon plutôt préservé par la guerre.

Soixante-quinze ans plus tard, alors qu’il est adulé du monde entier, Karl Lagerfeld, de retour dans sa ville, ne veut pas avoir à évoquer ce passé. Il est allemand, mais absent de cette histoire.

 A 19 ans, il quitte l’Allemagne et ses parents.

Il ne jure que par Paris. Il est doué pour le dessin et porte un intérêt marqué pour les vêtements.

C’est à Paris, qu’il veut retrouver la magie du premier défilé auquel il a assisté avec sa mère : le 13 décembre 1949, Dior présente sa dernière collection à Hambourg. Un véritable éblouissement pour le jeune allemand.

Et très vite, Karl arrive à gagner sa vie grâce à ses dessins de mode, grâce aussi au prix remporté lors d’un concours organisé par la marque Woolmark.

Primé en même temps que lui cette année-là, celui qui marquera une grande partie de son existence : Yves Saint Laurent, adoré puis haï, admiré et jalousé. Son plus grand rival.

De chez Patou, où Karl est nommé directeur artistique en 59, et où il s’ennuie ferme, en passant par Chloé, et Fendi, Karl commence à se faire un nom quand il rencontre Andy Warhol.

Même s’il n’est pas mondialement connu comme l’artiste américain, sa notoriété monte tout doucement en puissance.

Tout va donc bien pour lui professionnellement.

Sentimentalement, c’est autre chose.

Karl est homo, il l’a toujours su. Un homo d’une genre particulier explique Bacqué.

Il goûte la sensualité des hommes, c’est certain  – même s’il n’aime rien tant que d’habiller le corps des femmes. Mais le sexe ne semble pas l’intéresser.

A 38 ans, Karl Lagerfeld rencontre celui qui sera l’amour de sa vie : Jacques de Bascher, un dandy au look proustien, qu’il entretiendra durant de longues années.

Si le couturier dit ne rien posséder, il touche un pourcentage conséquent sur toutes ses créations et gagne très très bien sa vie. Ce sera encore mieux à partir de 1983 quand il est engagé par les propriétaires de la maison Chanel.

Une arrivée qui secoue la planète mode… Un Allemand peut-il incarner l’essence même de la mode française ?

Son premier défilé n’arrivera pas vraiment à convaincre : le couturier se replonge dans les archives de la maison et y introduit ce brin de subversion que l’époque attend.

Et là, bingo, ça marche, les ventes s’envolent.

La consécration est proche pour celui qui est non seulement un couturier extrêmement créatif, mais aussi un communicant exceptionnel, ce qui fait que chaque jour, le Kaiser étend un peu plus son empire…

C’est cet empire que raconte Raphaëlle Bacqué qui lève un coin du voile sur la personnalité si mystérieuse de Karl Lagerfeld, et c’est absolument passionnant.

Une enquête commencée plusieurs mois avant le 19 février 2019, date de la mort du couturier.

Une enquête menée grâce aux témoignages de dizaines de personnes qui ont accepté de partager leurs souvenirs et leur vécu avec ce personnage hors du commun.

Une enquête pour laquelle la journaliste a plongé dans les backrooms des boîtes gays et les ateliers de haute couture, de Hambourg à New York, de Paris à Monaco, en passant par les défilés et les salons des puissants de ce monde.

Une enquête pour découvrir la vraie face de cet empereur de la mode, connu et reconnu partout, cet empereur qui s’est si souvent caché derrière ses lunettes noires, pour essayer d’éviter que tous ses secrets soient dévoilés.

On ne lâche pas un instant Kaiser Karl.

 

Le dernier roi soleil, Sophie des Déserts, Fayard/Grasset

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Jean d’O.

Le fameux Jean d’O.

Celui qui disait en riant qu’ « un bon écrivain devait réussir sa sortie, surtout pas disparaître le même jour qu’un chanteur, comme ce pauvre Cocteau éclipsé par le décès de Piaf ».

Nul doute que Jean d’O a quand même dû moyennement sourire en apprenant la mort de Johnny, le lendemain de la sienne…

Jean d’O donc, sujet d’une biographie complètement autorisée, mais sans complaisance aucune.

Quasi jusqu’à la veille de sa mort, pendant près de trois années, le dernier roi soleil a ouvert grand les portes de sa maison de Neuilly à Sophie des Déserts, qui a été longtemps journaliste au Nouvel Observateur, aujourd’hui à Vanity Fair.

Ces deux-là se sont vus très souvent.

Pour déjeuner, pour dîner, pour papoter, pour deviser.

Et l’idée d’un livre est presque devenue naturelle au fil des rencontres, même si Jean d’O a d’abord longuement hésité avant de dire oui.

L’air de rien, à quatre-vingt-dix ans passés, il songeait à la postérité. Bien sûr, il n’en disait rien, c’eût été vil et triste. Il faisait l’éternel jeune homme. Nous esquivions l’horizon. Je lui proposais un pacte sans engagement : se voir, discuter, carnet en main, pouvoir tout arrêter si l’un ou l’autre en avait assez … »

 Jean d’O qui ne s’embarrasse d’aucun tracas matériel, a toujours vécu avec un majordome à ses côtés, une personne indispensable puisqu’il reconnaît bien volontiers qu’il ne sait rien faire, même pas changer une ampoule…

Et Olivier, le dit majordome s’est confié à l’auteure.

Monsieur plane, il n’imagine pas mettre une pièce dans un parcmètre, faire griller une tranche de pain, ouvrir un pot de confiture, ni même faire chauffer une casserole. Quand on n’est pas à son chevet à son réveil, il faut laisser du lait tiédi dans un Thermos, sinon Monsieur se passe du petit déjeuner…

Jean d’O qui, entre autres curiosités, ne possède pas de GSM …

Pas de tracas matériel on vous a dit …

Au fil de ses rencontres avec l’écrivain , avec ses amis, avec ses proches, avec les femmes de sa vie évidemment, Sophie des Déserts a pu comprendre que la grande affaire de l’existence de l’auteur, ce n’est pas l’écriture, mais l’amour. Peut-être même la seule précise Jean d’O.

Et on apprend que Jean d’O n’a jamais su faire des choix.

Qu’il a toujours voulu garder sa liberté, même une fois marié.

Double vie, triple peut-être, qu’importe.

On passe tout à Jean d’O le charmeur, l’élégant, le si pétillant Jean d’O, l’écrivain, l’éditorialiste et le patron du Figaro, l’académicien, l’homme de droite qui a l’oreille des présidents. De tous les présidents : de droite évidemment. Les autres aussi. Les plus anciens comme les plus jeunes.

C’est de tout cela dont nous parle Sophie des Déserts. Avec élégance. Avec brio. Pour dresser un portrait intime, complètement méconnu de l’homme.

A travers ces pages à la fois si sombres et si lumineuses, si douces et si piquantes aussi, si drôles et tendres encore, si caustiques parfois.

Un portrait intime impossible à refermer tellement le personnage est attachant, intrigant, brillant.

Le dernier roi soleil quoi, on vous l’avait bien dit …

Sacré Jean d’O…

 

Devenir, Michelle Obama, Fayard

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Aujourd’hui, dans sa nouvelle vie, Michelle Obama peut glisser elle même une tranche de pain dans le toaster de sa nouvelle cuisine sans que personne ne se précipite pour le faire à sa place.

Aujourd’hui, dans sa nouvelle vie, Michelle Obama peut se préparer elle même un sandwich au fromage avec un gros morceau de cheddar, le mettre au micro-ondes, et aller le manger dans son jardin, sans prévenir personne.

Pieds nus, en short.

Aujourd’hui, dans sa nouvelle vie, subsiste juste un groupe de gardes armés, installés dans le garage de leur nouvelle maison.

Mais aujourd’hui, dans sa nouvelle vie, Michelle Obama ne peut toujours pas se promener dans la rue sans gardes du corps…

Michelle Obama, ex-première dame, locataire de la Maison Blanche avec son Barack de mari, de 2009 à 2017, diplômée de Princeton et d’Harvard, avocate, n’est pas arrivée là d’un claquement de doigts.

De la chambre qu’elle partageait avec son frère Craig dans l’appartement familial à Chicago, au parc tout proche où elle jouait au ballon, des amphithéâtres universitaires où elle est la seule femme noire de l’assistance au bureau d’un cabinet prestigieux où elle va rencontrer celui qui va bouleverser son existence, la vie de Michelle O est loin d’être un long fleuve tranquille.

Elle a choisi de raconter ce parcours peu commun en nous faisant partager de nombreux moments de son intimité. Pour que nous puissions comprendre comment elle est devenue celle qu’elle est.

« Il y a encore tant de choses que j’ignore au sujet de l’Amérique, de la vie, et de ce que l’avenir nous réserve. Mais je sais qui je suis. Mon père, Fraser, m’a appris à travailler dur, à rire souvent et à tenir parole. Ma mère, Marian, à penser par moi-même et à faire entendre ma voix. Tous les deux ensemble, dans notre petit appartement du quartier de South Side de Chicago, ils m’ont aidée à saisir ce qui faisait la valeur de notre histoire, de mon histoire, et plus largement, de l’histoire de notre pays. Même quand elle est loin d’être belle et parfaite. Même quand la réalité se rappelle à vous plus que vous ne l’auriez souhaité. Votre histoire vous appartient, et elle vous appartiendra toujours. A vous de vous en emparer. »

Avec beaucoup d’audace, de franchise et de sincérité, probablement plus que toute autre 1ère dame, Michelle Obama se livre et raconte : sa vie personnelle, son couple, ses filles, la Maison Blanche.

Au final, on a entre les mains un témoignage passionnant, qui se dévore de la première à la dernière page.

Parce que son auteur a choisi une écriture sans aucune fioriture pour nous faire vivre l’envers du décor.

Simple. Claire. Efficace. Sans détour.

Sans tourner autour du pot, en appelant un chat un chat. A l’image cette femme qui n’a peut-être pas fini son parcours public …

Une vie en mouvement, Misty Copeland, 10-18

Une vie en mouvement, Misty Copeland

« Je me suis toujours intéressé aux femmes fortes de notre monde qui sont là pour briser les barrières et accomplir de grandes choses. Et Misty en est une parfaite incarnation. » C’est Barack Obama qui parle, lors d’un entretien qu’il a accordé au Times.

Misty Copeland, un nom que tous les amateurs de danse classique connaissent bien aujourd’hui puisqu’elle est devenue la première afro-américaine à accéder au très prestigieux titre de danseuse étoile de l’American Ballet Theatre de New York.

Un rêve que la jeune femme pensait tout à fait inaccessible …

Elle, Misty,  qui est venue très tard au classique : en intègrant une petite école de danse classique à 13 ans … un âge canonique pour débuter dans la discipline. Mais qu’importe, son professeur remarque qu’elle est incroyablement douée quand elle la voit s’élancer pour la première fois sur ses pointes.

Douée, et le physique qu’il faut pour faire une excellente danseuse.

D’après George Balanchine, un des plus grands chorégraphes du 20ième siècle, la ballerine idéale a  »une petite tête, des épaules tombantes, de longues jambes, de grands pieds et une cage thoracique étroite ». C’est exactement la silhouette de Misty constate sa prof  Cindy …

Misty … Personne n’aurait imaginé un jour qu’elle intégrerait le monde élitiste et souvent cruel de la danse classique. Misty, la petite fille née dans un foyer instable,  au milieu de 7 frères et soeurs, avec une mère qui collectionne les amants, Misty qui ne jure que par Mariah Carey et le hip-hop…

Et pourtant, grâce à sa persévérance, grâce aux sacrifices et à la discipline qu’elle s’impose quotidiennement, Misty va gravir les échelons les uns après les autres, et vaincre cet insupportable préjugé, celui d’être noire dans cet univers si fermé des ballerines immaculées.

Et atteindre le sommet …

On dévore cette auto-biographie de la première à la dernière page : un destin exceptionnel qui se lit comme un roman…

Une très belle découverte à glisser dans votre valise.

 

 

 

Mémoires Beate et Serge Klarsfeld, Livre de Poche

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Il est devenu presque inutile de les présenter : Beate et Serge Klarsfeld.

Un couple déjà entré dans la légende, alors qu’ils sont toujours en vie, tous les deux.

Pourtant, rien ne laissait supposer que Beate, fille d’un soldat de la Wehrmacht, et Serge, fils d’un juif roumain mort à Auschwitz allaient tomber éperdument amoureux l’un de l’autre.

Un coup de foudre sur un quai de métro à Paris.

Beate est alors jeune fille au pair et Serge étudiant à Science Po.  Très vite, ce couple mythique va se spécialiser dans la traque des anciens nazis. D’abord en Allemagne où Beate mène un combat acharné pour les empêcher d’accéder à des postes à haute responsabilité.

En France ensuite : traîner Klaus Barbie devant les tribunaux, c’est eux. Eux encore qui jouent un rôle central dans les procès de Bousquet, Touvier et Papon.

Sans répit, malgré les menaces, malgré les arrestations, un combat de chaque jour. Exemplaire. Raconté de manière passionnante, à deux voix : celle de Beate, en alternance avec celle de Serge.

Des mémoires qui font plus de 1000 pages.

Qu’importe, elles se lisent comme un roman. Extrêmement captivant.

Pour ne pas oublier.

Jamais.