Retour à Birkenau, Ginette Kolinka avec Marion Ruggieri, Grasset

71nVCtcHTSL.jpg

Ginette Kolinka est arrêtée par la Gestapo en mars 1944 à Avignon.

Elle a 19 ans.

Embarqués avec elle, son père, son petit frère et son neveu.

Ils ont été dénoncés.

Elle ne sait pas par qui.

Après plusieurs jours de trajet en train, entassés dans des wagons à bestiaux, recroquevillés dans la pénombre et la puanteur, ils arrivent à Birkenau le 16 avril 1944.

Sur le quai, il y a des camions pour les plus fatigués.

Ginette suggère à son père et à son petit frère de monter dedans pour s’épargner.

Elle poursuivra le chemin à pied.

Et elle raconte …

Elle raconte la honte de sa nudité quand elle a dû se déshabiller…

Elle raconte le tatouage de son matricule …

Elle raconte comment elle a été rasée …

Elle raconte comment elle apprend très vite que ceux qui sont montés dans les camions ont été directement dans les chambres à gaz, que leurs corps ont été brûlés …

Elle raconte la baraque où elle doit aller faire ses besoins, en même temps que des centaines d’autres femmes …

Jusqu’ici, nous étions encore des êtres humains. Nous ne sommes plus rien.

Elle raconte le quotidien dans le baraquement, les nuits, les coups, les mortes de la nuit …

Elle raconte le froid, le travail, les heures passées à construire des routes et des rails pour permettre aux trains d’amener les déportés directement à l’intérieur du camp …

Elle raconte la faim, les repas, dans une écuelle, comme les chiens …

Elle raconte la gale …

Elle raconte sa chance, que les nazis quittent Auschwitz en janvier 45 pour échapper à l’avancée des Alliés …

Elle raconte sa chance de tenir encore sur ses deux jambes pour son transfert à Bergen Belsen …

Elle raconte comment les filles se battent pour fouiller les poubelles et y dénicher des épluchures pour les manger …

Elle raconte le trajet en train jusque Theresienstadt, dans ce wagon où elle reste enfermée plusieurs jours dans le noir, avec des centaines d’autres, sans boire ni manger, ni toilettes, avec les mortes qu’on a entassées dans un coin …

Elle raconte qu’elle entend le mot typhus …

Elle raconte que plus tard, en mai 45, elle a été soignée, elle ne se souvient pas par qui …

Elle raconte son retour en France, ses retrouvailles avec sa mère …

Elle raconte comment, à bout, elle lui a annoncé la mort de son mari et de son fils unique …

Elle raconte sa première visite chez le médecin, à son retour : à 20 ans, elle pèse 26 kgs …

Elle raconte qu’à son retour encore personne ne lui demandait comment elle allait …

Elle raconte sa rencontre avec celui qui sera son mari pendant 40 ans…

Elle raconte ses silences à elle, sur ce qu’elle a vécu…

Elle raconte que c’est grâce au réalisateur Spielberg qu’elle a commencé à parler …

Elle raconte ses visites à Birkenau, avec les élèves des écoles …

J’espère que vous ne pensez pas que j’ai exagéré, au moins ?

Aujourd’hui, Ginette Kolinka a 94 ans.

Elle raconte dans toutes les classes de France, pour qu’on n’oublie jamais.

Elle se demande comment elle a pu survivre à ça.

Son récit, terrible, est une vraie claque, dont la lecture devrait être obligatoire.

 

 

 

 

Good Morning, Mr. President, Rebecca Dorey-Stein, Editions NiL

goodmorning

A 26 ans, au printemps 2011 , après 4 années d’études universitaires pour être professeur d’anglais, Rebecca n’a pas encore fait grand chose de sa vie.

Sans boulot fixe, ni projet concret, il va bien falloir qu’elle se secoue un peu si elle veut pouvoir continuer à payer le loyer de sa colocation à Washington.

Même si elle cumule cinq emplois très mal payés et complètement précaires, ses économies fondent à vue d’oeil, et l’horizon est plutôt sombre pour la jeune femme.

Sans trop d’espoir, elle répond à une petite annonce : à première vue, une offre d’emploi pour un poste de sténo-dactylo dans un cabinet juridique.

Quelques jours plus tard, alors qu’elle vient de louper le rendez-vous avec la personne qui engage, elle reçoit le message suivant : « Par souci de transparence, je tiens à vous informer qu’il s’agit d’un poste à la Maison Blanche et que vous seriez amenée à voyager aux côtés du président à la fois aux Etats-Unis et à l’étranger. Dites-moi si cela change quelque chose pour vous. »

Et Rebecca apprend très vite de quoi il s’agit : il faudra enregistrer les interviews, les séances d’information, les conférences de presse et les discours, et puis les taper.

Non, il ne faudra pas taper en direct, et non il ne faut pas connaître la sténo. « La discrétion et la précision sont plus importantes que la vitesse. »

En fait, Rebecca devra, plus ou moins, suivre le président Obama dans tous ses déplacements, pour alimenter les archives présidentielles.

Inutile de dire qu’elle s’empresse d’accepter le poste.

Même si elle pense qu’il ne s’agit pas du job du siècle, même si elle va gagner sa vie en tapant des textes, Rebecca commence tout doucement à se rendre compte qu’elle va vivre des moments historiques aux côtés de POTUS, the President Of The United States, et que surtout, elle va être payée pour ne pas parler, ce qui dans son cas sera un véritable exploit.

Direction donc la Maison Blanche pour devenir l’ombre du président, enregistreur et micro à la main.

Très vite, Rebecca va se faire à sa nouvelle vie, entre deux points presse ou entre deux voyages au bout du monde à bord d’Air Force One.

« Je repère mon siège. Dans le porte-gobelet, un petit carton indique en lettres bleues : « Bienvenue à bord d’Air Force One, mademoiselle Dorey-Stein. » Je n’en reviens pas que ce soit ma vie. J’adore ma place près du hublot. A côté du mien, il n’y a qu’un siège… Les sièges peuvent s’incliner horizontalement. Et j’ai toutes les prises nécessaires à mes pieds. Sur la tablette devant moi, je trouve la presse du jour plus un petit plateau de friandises … »

Les mois passent, les années aussi : des années complètement folles pour la jeune femme qui ne voit pas le temps passer.

Elle qui carbure à présent à l’adrénaline, à l’autodérision, et à la vodka parfois, pour décompresser et oublier qu’elle a laissé sa vie personnelle sur le côté…

C’est une incroyable plongée dans les coulisses de la présidence Obama que nous propose Rebecca Dorey-Stein. Rebecca Dorey-Stein qui a démissionné de son poste, deux mois après l’arrivée de Donald Trump.

Avec beaucoup d’humour, de lucidité, et de talent, il faut le reconnaître, elle réussit à faire en sorte qu’on endosse nous-mêmes ce rôle de sténo pour découvrir les rouages de la politique américaine.

Et on comprend mieux pourquoi « Good morning Mr President » a été si bien accueilli par la critique aux Etats-Unis.

Le New York Times parle de « Bridget Jones à la Maison-Blanche ». Il y a un peu de ça, c’est vrai.

Et c’est probablement dû à la personnalité de Rebecca, qui au départ ne devait pas trop correspondre à la fonction recherchée.

Et puis ici, autant prévenir tout de suite, pas question de se prendre la tête : il ne s’agit pas de mémoires politiques, mais bien du quotidien d’une des assistantes de l’ombre du président : de sa vie à elle, de son ressenti personnel, de ses attentes, de ses espoirs. Rien d’autre.

Juste que ce quotidien assez exceptionnel, par la personnalité du boss de Rebecca, nous permet de nous glisser dans cet endroit qui nourrit tant de phantasmes et dont les coulisses restent si méconnues du grand public.

Tout est vrai dans ce qu’elle a écrit. A quelques noms et quelques traits de caractère près.

Rebecca Dorey-Stein explique qu’elle a dû utiliser quelques pseudonymes pour qu’on ne puisse pas identifier certaines personnes et pour protéger la vie privée d’autres.

Vous ne lâcherez pas le récit de Rebecca Dorey-Stein une seconde.
Il se lit comme un roman. Un très bon roman.