Face au Pacifique, Catherine Locandro, Pocket

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A 38 ans, Mona n’est pas vraiment au top de sa forme. Elle vient de passer de sales moments : une hospitalisation en hôpital psychiatrique suite à une énorme dépression et une rupture dont elle a eu beaucoup de mal à se remettre.

D’ailleurs, elle ne sait pas si vraiment elle arrivera un jour à surmonter cette déprime.

Quand sa meilleure amie lui propose de partir s’installer à Los Angeles pour deux mois, tous frais payés, afin de réaliser l’interview de Joseph Macard,  un vieux français qui a réussi là-bas dans la pâtisserie,  Mona n’hésite pas trop.

Après tout, elle n’a pas grand chose à perdre et un tel changement d’air lui ferait peut-être le plus grand bien … Se retrouver seule, à des milliers de kilomètres de son environnement qui lui pèse tant, se retrouver au soleil, au chaud, tout cela ne peut que lui faire du bien au corps et au moral.

Elle accepte la proposition et s’installe dans une suite d’un charmant petit motel au bord du Pacifique.

Un cadre de vie tout neuf, si lumineux,  si différent de celui qu’elle laisse derrière elle, devrait l’aider dans sa reconstruction. Et chaque jour qui passe est une progression pour la jeune femme : le fait de marcher seule en rue, de pouvoir à nouveau manger à une terrasse  ressemble à une victoire sur elle-même.

Comme le fait de s’intéresser plus qu’elle ne l’imaginait à celui dont elle est chargée de recueillir les confidences en vue d’une biographie. Ce Joseph, avec qui elle entame une relation plutôt troublante.

Comme le fait d’apprécier les conversations avec celles et ceux qu’elle rencontre tout au long de ses journées .

Mais quels sont les liens pour le moins mystérieux entre tous ces personnages dont certains semblent à la dérive et au coeur d’un chassé-croisé fascinant ?

Quand elle aura la réponse à toutes ces questions, Mona verra-t-elle enfin le bout du tunnel ?

Réponse dans ce roman qui tient en haleine jusqu’aux dernières lignes, intriguant et nostalgique, dans lequel on entend le ressac et le grondement du Pacifique en tournant les pages …

Le secret du mari, Liane Moriarty, Livre de Poche

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Cécilia Fitzpatrick est mariée, maman de trois filles.

Présidente de l’association des parents de l’école. Démonstratrice Tupperware quand l’occasion se présente. Une espèce de super-woman : active, organisée et terriblement efficace sur tous les fronts, même si elle reconnaît que son existence n’a rien d’exceptionnel.

Un jour que John-Paul, son mari, est en voyage pour le boulot, elle monte dans son grenier, et complètement par hasard, elle tombe sur une lettre qui lui est destinée.

L’auteur de la missive, c’est John-Paul, justement.

Sur l’enveloppe jaunie par le temps, quelques mots écrits de sa main : « A n’ouvrir qu’après ma mort » …

Une phrase qui résonne dans la tête de Cécilia, et une lettre qui la perturbe bien plus qu’elle ne veut l’admettre : que doit-elle faire  ?

Remettre ce pli dans cette boîte au grenier, soit respecter le souhait de son mari toujours vivant et en pleine forme, ou bien doit-elle céder à la tentation, à la curiosité, avec le risque de voir sa vie basculer en plein polar ?

C’est en lisant ce roman que vous le saurez, parce que je ne vous en dirai pas plus.

« Le secret du mari » est resté pendant presque un an en tête des best-sellers du New York Times.

Un roman intense, qui maintient le suspense jusqu’à la dernière page.

Un roman qui tue l’ennui, et qui sera prochainement adapté au cinéma.

 

L’amie prodigieuse, Elena Ferrante, Folio

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Lila Cerullo et Elena Greco sont toujours à l’école primaire quand elles commencent à échanger quelques mots.

Nous sommes dans un quartier populaire de Naples, à la fin des années 50.

Pour seul terrain de jeux, les fillettes disposent d’une cour en bas de chez elles, ou la rue. Qu’importe, elles feront avec. Cela ne va pas empêcher leur amitié naissante de se développer.

A l’école, les deux gamines sont particulièrement douées . Malheureusement, ce n’est pas vraiment la voie que leurs parents ont choisi pour elles.

Lila devra arrêter sa scolarité  pour aider son père qui trime dur dans sa cordonnerie.

Elena aura plus de chance : son institutrice arrive à convaincre ses parents de l’envoyer au collège puis au lycée.

De l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte, les chemins des deux amies se croisent, ou s’éloignent dans cette ville si dure, alternativement si sombre et si lumineuse, parfois violente aussi, où plane l’ombre de la Camorra.

Lila et Elena, deux héroïnes absolument magistrales, inoubliables, tellement différentes et si attachantes. Peut-être un des plus beaux romans pour décrire l’amitié, avec ses joies, avec ses peines.

« L’amie prodigieuse » est le premier tome d’une série qui en comptera quatre. Déjà disponible le tome 2, paru chez Gallimard : « Un autre nom », à qui le magazine « Lire » vient de décerner le titre de « Meilleur roman de l’année ».  Rien que ça.

Une récompense amplement méritée, dont on attend évidemment très impatiemment la suite, qui est prévue début janvier … Plus que 30 fois dormir …

Le livre de Joe, Jonathan Tropper, 10-18

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Ce n’est pas vraiment une nouveauté, mais il est possible que ce roman vous ait échappé au moment de sa sortie, et ce serait franchement dommage de passer à côté, parce que c’est un vrai petit bijou.

Joe Goffman a, semble-t-il, tout pour lui.

Il est riche, il habite un superbe appartement en plein coeur de Manhattan, il roule dans un cabriolet allemand dernier cri. Que demander de plus quand la vie vous sourit de la sorte ?

D’autant que tout cela, il l’a amplement mérité puisqu’il l’a gagné à la sueur de son front, en écrivant un bouquin « Bush Falls » qui est rapidement devenu un incontournable dans les rayons des librairies.

Un best-seller directement inspiré de son adolescence passée dans un bled du Connecticut.

Un best-seller qui ridiculise joyeusement un grand nombre de citoyens de sa bourgade natale. Ce qui n’aurait jamais dû avoir de conséquences sur la vie de Joe qui s’est installé à New York…

Sauf qu’un jour, Joe est rappelé là-bas, au chevet de son père mourant, et qu’il est bien obligé de croiser, de revoir et de faire face à toutes celles et ceux qu’il a gentiment rhabillés pour l’hiver, et on ne peut pas dire que cela se passe toujours dans la joie et l’allégresse …

Vous n’arriverez pas à vous détacher du « Livre de Joe ». C’est un roman bourré d’humour, de tendresse, de dérision.

On y passe sans cesse du rire aux larmes pour une histoire de vie, d’amitié, une histoire d’amour aussi, dans l’Amérique profonde.

Un roman signé Jonathan Tropper qui est devenu un des auteurs américains les plus agréables à lire de sa génération.

Les vies de papier, Rabih Alameddine, Editions les Escales

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Elle s’appelle Aaliya Saleh, elle a 72 ans, elle n’est pas toujours experte quand elle fait sa colo : ses cheveux sont bleus à présent, heureusement, elle a une santé de fer lui affirme son médecin, de fer rouillé précise-t-elle.

Aaliya n’a pas de téléphone portable, personne ne l’appelle, elle est seule, et c’est son choix… « Un choix qui tient compte du peu d’autres options disponibles. La société beyrouthine n’appréciait pas les femmes divorcées sans enfant en ce temps-là »…

Mariée à 16 ans, retirée aussitôt de l’école, son mari impuissant la répudie quatre ans après leur mariage qui n’a salué la naissance d’aucun enfant. Pour subsister, elle trouve un emploi dans une librairie de Beyrouth. Elle y restera des dizaines d’années.

Parce que la littérature est son refuge, son plaisir aveugle. L’air qu’elle respire.

Les murs de son vieil appartement sont d’ailleurs tapissés de livres, de cartons remplis de papiers, de feuilles volantes, celles  avec  les traductions qu’elle commence rituellement chaque année le premier janvier, les traductions en arabe de ses auteurs préférés, Kafka, Pessoa ou Nabokov.

Rabih Alameddine propose un somptueux portrait de femme : une femme qui n’a jamais accepté de se laisser enfermer dans le carcan de la société libanaise qui pouvait se montrer très cruelle avec une femme seule.

Aaliya, qui ne s’est jamais soumise.

A personne, et encore moins  à la religion.

Sa religion à elle, c’est la littérature : son seul amour.

Les jurés ne sont pas trompés en lui décernant le prestigieux Prix Fémina Etranger 2016.

Ce roman est absolument éblouissant.

Ne passez pas à côté.

 

L’innocence des bourreaux, Barbara Abel, Pocket

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Une petite superette de quartier, dans la banlieue parisienne.

Un jour comme tous les autres pour Aline, Germaine, Michèle, Léa ou Guillaume, tous les clients habituels du magasin.

Parmi eux, il y a  une jeune maman qui a laissé son enfant de trois ans seul devant la télé … C’est juste le temps d’acheter des couches-culottes…

Il y a une vieille dame difficile et acariâtre, accompagnée de son aide familiale.

Il y a aussi un couple pas vraiment légitime, et puis, il y a ce caissier qui a la tête complètement ailleurs puisqu’il attend de savoir s’il va être papa… C’est dire s’il se sent concerné par ceux qui défilent devant lui…

Bref, des gens normaux comme vous et moi. Des gens qui n’ont surtout jamais imaginé que leur vie allait basculer quand Jo, un junkie en manque, braque la superette.

L’homme est armé, cagoulé.

Très vite, c’est la panique, les choses tournent mal… très mal …

Pour son dixième roman, la romancière belge Barbara Abel ne recule devant rien : tension psychologique à son maximum et rythme d’enfer dans ce huis-clos redoutable.

Absolument glaçant.

A lire d’extrême urgence.

Sauf si vous devez faire vos courses dans un supermarché ce WE …

Petit pays, Gaël Faye, Grasset

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En 1992, Gabriel a 10 ans. D’un père français, d’une mère rwandaise, le petit garçon vit avec sa petite sœur Ana, dans une confortable villa d’un quartier d’expats à Bujumbura, au Burundi.

Gaby, c’est comme ça que tout le monde l’appelle, passe le plus clair de son temps, quand il n’est pas à l’école, avec ses amis. Une belle bande de copains, complètement insouciants, plus occupés à faire les 400 coups, à chaparder les mangues les plus mures dans le jardin des voisins, ou plonger dans la rivière que s’inquiéter de la situation politique qui commence vraiment à sentir mauvais.

-« La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c’est parce qu’ils n’ont pas le même territoire ?

– Non, ça n’est pas ça, ils ont le même pays.

– Alors … ils n’ont pas la même langue ?

– Si, ils parlent la même langue.

– Alors, ils n’ont pas le même  dieu ?

– Si, ils ont le même dieu.

– Alors pourquoi se font-ils la guerre ?

– Parce qu’ils n’ont pas le même nez.  La discussion s’était arrêtée là. C’était quand même étrange cette affaire. Je crois que Papa non plus n’y comprenait pas grand chose.  »

A ce moment là, à part dévisager les visages et les nez des gens qu’ils croisent, le conflit latent entre Hutu et Tutsie ne perturbe pas encore trop la vie de Gaby.

C’est que  le quotidien du petit métis va d’abord être chamboulé par tout autre chose : la séparation de ses parents, « des adolescents paumés à qui l’on demande subitement de devenir des adultes responsables ».  Qu’à cela ne tienne, Gaby continue sa vie de pré-adolescent, avec ses potes.

« On passait notre temps à se disputer, avec les copains, mais y a pas à dire, on s’aimait comme des frères. Les après-midi, après le déjeuner, on filait tous les cinq vers notre quartier général, l’épave abandonnée d’un Combi Volkswagen au milieu du terrain vague. Dans la voiture, on discutait on rigolait, on fumait des Supermatch en cachette, on écoutait les histoires incroyables de Gino, les blagues des jumeaux, et Armand nous révélait des trucs invraisemblables qu’il était capable de faire, comme montrer l’intérieur  de ses paupières en les retournant, toucher son nez avec sa langue, tordre son pouce en arrière jusqu’à ce qu’il atteigne son bras, décapsuler des bouteilles avec les dents du devant ou croquer du pili-pili et l’avaler sans ciller. Dans le Combi Volkswagen, on décidait nos projets, nos escapades, nos grandes vadrouilles. On rêvait beaucoup, on s’imaginait , le cœur impatient, les joies et les aventures que nous réservait la vie. En résumé, on était tranquilles et heureux, dans notre planque du terrain vague de l’impasse. »

Tranquilles et heureux … cela ne va pas durer, malheureusement. Gaby se demande quand, avec ses copains, ils ont commencé à avoir peur. Est-ce ce jour où deux garçons burundais se sont battus à l’école, ce jour où les élèves se sont rapidement « séparés en deux groupes, chacun soutenant un garçon. « Sales Hutu » disaient les uns, « sales Tutsi » répliquaient les autres ». Gaby qui reconnait avoir voulu rester neutre, et n’avoir pas pu… Un sentiment qui n’a fait que se renforcer, après sa visite au Rwanda voisin, si proche, où la situation s’annonce cauchemardesque pour les Tutsi. Nous sommes fin 1993, à la veille du génocide. Gaby vient de se découvrir métis, Tutsi, et Français …dans un monde qui n’est plus qu’horreurs et violence. C’est toute son existence qui va basculer.

Gaël Faye signe ici son premier roman. Magnifique. Celui d’un enfant confronté avec insouciance d’abord, puis avec beaucoup de lucidité, à l’histoire : celle de sa propre famille, celle avec un grand H.

« J’ai écrit ce roman pour faire surgir un monde oublié, pour dire nos instants joyeux, discrets comme des filles de bonnes familles: le parfum de citronnelle dans les rues, les promenades le soir le long des bougainvilliers, les siestes l’après-midi derrière les moustiquaires trouées, les conversations futiles, assis sur un casier de bières, les termites les jours d’orages… J’ai écrit ce roman pour crier à l’univers que nous avons existé, avec nos vies simples, notre train-train, notre ennui, que nous avions des bonheurs qui ne cherchaient qu’à le rester avant d’être expédiés aux quatre coins du monde et de devenir une bande d’exilés, de réfugiés, d’immigrés, de migrants. »

L’écriture de Faye est vive, elle chante, elle virevolte, elle emporte, là-bas, au Burundi, ce petit pays où il faisait si bon vivre, où l’enfer est en train de faire son retour plus de 20 ans après la tragédie que Gaby a vécue…

« Petit pays » est sélectionné dans la dernière liste du Goncourt qui sera décerné ce mercredi 3 novembre. On croise les doigts.

 

 

 

 

 

 

Le dernier des nôtres, Adélaïde de Clermont-Tonnerre, Grasset

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Manhattan, 1969. Werner Zilch est assis dans un restaurant quand il aperçoit une jeune femme:  »La première chose que je vis d’elle fut sa cheville, délicate, nerveuse, qu’enserrait la bride d’une sandale bleue… »

Une rencontre, un coup de foudre pour Werner qui a été adopté par une famille américaine au sortir de la guerre, et qui ne s’est jamais vraiment préoccupé de ses origines.

Une passion instantanée aussi pour la jeune femme. Rebecca, la fille d’un des hommes les plus puissants du pays. Rebecca, l’artiste en vue, l’enfant hyper gâtée par son père.

Rebecca et Werner donc. Qui vont très vite s’aimer. Jusqu’au jour où le jeune homme est présenté à Judith, la mère de Rebecca qui s’effondre quasi instantanément en voyant l’amoureux de sa fille.  Qu’est-ce qui a bien pu provoquer cet évanouissement ? Judith a-t-elle reconnu quelqu’un sous les traits de Werner ? Une chose est certaine, plus rien ne sera jamais comme avant, parce Rebecca disparaît du jour au lendemain de la vie de Werner qui ne comprend absolument rien à ce qui lui arrive.

Dans ce New York si captivant de la fin des années 60, Werner va devoir plonger dans son propre passé pour découvrir la vérité : celle de deux frères ennemis et celle de deux femmes liées par une amitié indéfectible, à Dresde, en 1945, sous une déluge de bombes.

Adélaïde de Clermont-Tonnerre signe une superbe saga, une véritable tragédie sur les ruines de la seconde guerre mondiale.

Un roman impossible à lâcher, tellement on est pressé de connaître le sort réservé à ces héros si attachants. Tellement attachants que « le dernier des nôtres » a reçu, dès sa sortie, le premier prix « Filigranes ».

L’insouciance, Karine Tuil, Gallimard

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Romain Roller est lieutenant dans l’armée française. De retour d’Afghanistan, il ne va pas bien. Plusieurs de ses hommes ont été tués ou très grièvement blessés, et il n’a pas pu l’empêcher.

En séjour de décompression dans un Palace chypriote, il fait la connaissance d’une journaliste avec qui il a une liaison. Elle s’appelle Marion, elle est l’épouse de François Vély : un homme d’affaires très en vue, fils d’une ancien ministre et résistant juif.

A Paris, Romain et Marion se revoient alors que François devient très rapidement la cible des médias qui l’accusent de racisme, après qu’il ait posé pour un magazine assis sur une œuvre d’art représentant une femme noire. Le tollé est général, de quoi menacer et complètement ruiner sa réputation. De quoi surtout faire crouler l’empire financier qu’il a mis des années à construire.

C’est Osman, un des amis d’enfance de Romain qui va prendre publiquement sa défense. Osman, fils d’immigrés ivoiriens. Une personnalité politique montante depuis les émeutes dans les banlieues en 2005. Osman qui conseille le Président de la République. Osman qui navigue à présent dans les coulisses du pouvoir et de l’Elysée.

Comment ces quatre-là vont-ils vivre ce tourbillon qui les entraîne inéluctablement vers les tourments ? Comment vont-ils faire face à cette déferlante médiatique qui pourrait bien tous les emporter ?

Réponse dans ce roman magistral. Fascinant. Si cruellement contemporain.

Peut-être le meilleur de cette rentrée littéraire.